Locomotive diesel série 220

Nous sommes en 1966. Depuis quelques années, la Deutsche Reichsbahn de la RDA (DR) a bien progressé dans la diesélisation de sa flotte de locomotives avec des engins de la RDA tels que la V 100 et la V 180. Peu de temps auparavant, le grand frère soviétique a toutefois décidé, au sein du Conseil d'assistance économique mutuelle, que les grandes locomotives diesel destinées aux pays socialistes ne pourraient désormais être construites que dans l'usine de locomotives soviétique de Luhansk. Celle-ci compte alors partie des plus grandes usines de locomotives du monde. Fondée en 1896 à Luhansk en tant que Société russe de construction mécanique par Gustav Hartmann, elle a des racines allemandes : le fondateur est en effet le fils de Richard Hartmann, propriétaire de la "Sächsische Maschinenfabrik" (fabrique de machines saxonne) à Chemnitz. En 1965, la Reichsbahn se voit finalement contrainte de commander une première série de la machine diesel-électrique à six essieux type M 62. Le moteur diesel à 12 cylindres, construit par la firme Kolomna, affiche alors une puissance de 2000 CV, d'où la désignation DR de "V 200". En RDA, les premières machines font "grand bruit" ... mais pas dans le bon sens du terme ! La nuit, le bruit infernal des moteurs diesel à deux temps tire les riverains du sommeil et, selon la légende, fait trembler les tasses. Ces monstres sont bientôt surnommés "tambour de Taïga", "la dernière vengeance de Staline" ou tout simplement "Vouuuuum". Le régime au ralenti et le régime maximal du moteur diesel à deux temps de la V 200 étant respectivement de 400 tr/min et 750 tr/min, il produit un bruit rappelant celui d'un tambour. Le bruit excessif des 177 premiers exemplaires s'explique essentiellement par l'absence de silencieux. Suite aux plaintes massives de la population, l'atelier de réparation de Meiningen développe alors une protection antibruit efficace qui est installée sur les 108 premières locomotives. Les autres "Voums" sont ensuite dotées d'un silencieux développé à Luhansk. Le niveau sonore des V 200 reste néanmoins très élevé. Lorsqu'un "tambour" remorquant un lourd train de marchandises s'approche, on sait immédiatement de quel type de locomotive il s'agit. Pour de nombreux amateurs de chemins de fer, les "tambours de taïga" sont donc devenus culte. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Les cheminots sont eux aussi très satisfaits des performances et de la fiabilité de la V 200 qui, compte tenu de l'absence de chauffage, ne circule que sporadiquement en été en tête de trains de voyageurs. Son principal domaine d'affectation est le trafic marchandises lourd, d'autant plus que sa vitesse maximale est limitée à 100 km/h. En 1975, Luhansk livre la 378e "Voum" à la DR, puis c'est la fin. Les "Ludmillas" plus puissantes et plus modernes des séries 130, 131, 132 et 142 prennent la relève de ce type de locomotive, désormais appelée série 120. Lorsqu'après la chute du mur, le trafic marchandises de la Reichsbahn diminue massivement, les "tambours" se retrouvent de plus en plus sur la voie de garage : Les machines ont d'une part été fortement sollicitées pendant des années et d'autre part, leur importante consommation de carburant en fait de véritables gouffres financiers. En 1992, la DR transforme encore 200 "tambours" en série 220, mais trois ans plus tard, c’est déjà la fin de cette locomotive diesel - probablement la plus bruyante - sur les rails allemands. De nombreuses locomotives sont ensuite vendues à l'étranger et à des chemins de fer privés allemands. Ainsi, 29 "Voums" partent en Lituanie, 33 en Corée du Nord et 31 en Pologne. A partir de 2011, plus aucun "tambour" de Luhansk ne circule en Allemagne... jusqu'à ce que le service ferroviaire d'Erfurt soumette la 220 507, rachetée à la Pologne en 2021, à une révision générale. Depuis le 27 janvier 2022, cette locomotive culte est à nouveau visible en service en Allemagne. Mais sans grand bruit de tambour, car la machine possède un moteur 232 plus silencieux. Aujourd'hui encore, cette locomotive reste toutefois une véritable "bombe".